L’esprit de solitude . Jacqueline Kelen

« Trop souvent on confond l’attachement avec la dépendance. Un être humain riche de sentiments et d’émotions, est capable d’entrer en relation avec autrui sans se perdre et il n’a pas peur de s’attacher car ce lien affectif ne porte pas atteinte à son intégrité . C’est la dépendance qui amoindrit l’être qui est, volontaire ou non, servitude . Aimer quelqu’un sans la dépendance est un véritable défi à la nature humaine …Seul un être libre est capable d’aimer, seul il est assez fou pour aimer en toute liberté . Tous les autres ne savent, sous couvert d’aimer, que posséder l’autre ou lui appartenir » Jacqueline Kelen « L’esprit de solitude »

« Ueno Park » – Antoine Dole

Après un malheur

Perdre un enfant, c’est le plus grand des malheurs, Après on ne vie pas, mais on essaye de survivre, cela peut être une force. Les parents qui tiendront le coup à ce malheur, arriveront jusqu’au bout pour rencontrer un jour leur enfant dans l’autre monde, qu’on appelle le royaume des cieux là où ce trouve DiEU.

Paul ( en deuil de ma fille )

anissaberlani@adagp – Nejma Quelques nouvelles de Nejma… Une femme comme une autre, Déchirée entre deux pays, deux cultures, deux traditions. Une femme entre deux guerres, deux espoirs. Une femme enfant, une femme mariée, une femme maman. Une femme combattante !!!

 

anissaberlani@adagp

Le commencement de la fin

Dans le sud d’Alger, dans un petit village nommé « El Frikina ».

Nejma, une femme d’une cinquantaine d’années prépare le repas de ses deux fils. Quelle fierté pour Nejma d’avoir deux beaux grands garçons ! Et Ils ont bien réussit dans la vie. Yamine, l’ainé des deux approche son trentième anniversaire. Il est pilote de ligne à Alger.
Alors que le cadet, Mehdi a atteint l’âge de vingt huit ans, lui est enseignant à Ain-Beïda.
Quant à l’époux de Nejma, il est partit faire un pèlerinage à la Mecque.

Dans cette petite maison en pierre blanche, Nejma prépare un tajine tout en murmurant une chanson kabyle « A baba nouba… ». Soudain, des coups se font entendre à la porte. Les mains tachées de pruneaux, Nejma va ouvrir.
C’est l’Iman du village accompagné de quelques fidèles qui se tiennent au seuil de la porte.
Nejma leur adresse un grand sourire. En échange de celui-ci, se dresse devant elle des regards inquiets, des visages livides accompagnés d’une expression sans lendemain.
L’Imam, le grand Abdel-Nouar dresse devant elle une liste de noms.

Quelques jours plus tard, Nejma part le cœur gros à Constantine rendre visite à sa cousine. Enfin, elle va parler et on va lui répondre. Nejma lui annoncera que son fils Yamine est partit très loin, il se trouve sur la liste du FIS !!!
Elle pourra le raconter à une autre femme, sans honte, sans sécher ses larmes. Le fardeau est si lourd sur ses épaules ! Sur le chemin, elle se souvient de l’année 1954.

Les femmes d’Algérie, comme les femmes de tous les continents, ont depuis le début des temps donné l’exemple de leur capacité de résistance et de leur courage. Je pense évidemment entre autre à la lutte de l’indépendance déclenchée le 1er novembre 1954, jour de la Toussaint, dans laquelle elles prirent toutes leur part, que ce soit dans les campagnes ou dans les villes.
Elles furent relativement nombreuses, compte tenu des mœurs et de la réclusion que leur imposait la tradition, à « monter au maquis », où à servir, dans les villages notamment, d’agent de liaison, d’informatrice, de porteuse de valises. Ces femmes, nos sœurs, nos filles, combattent alors aux côtés des hommes, ayant fait voler en éclat le tabou de la mixité !

Pendant ce temps, Yamine qui souffre de l’absence de sa mère prend la dangereuse initiative de lui rendre visite. Dans la maison, personne, personne pour lui souhaiter la bienvenue, le rassurer…
Yamine soupire puis se fait couler un bain, il se déshabille, entre dans l’eau et ferme les yeux paisiblement…

C’est la fin des cours, il est l’heure pour Mehdi de rentrer chez lui.
Là ! Dans la maison blanche, quelle surprise !
Doucement, il pénètre dans la salle de bain, aperçoit son frère, les yeux clos qui se détend dans la baignoire. Très vite, dans un coffre, Mehdi s’empare d’une arme.
Un sourire au bout des lèvres, il tire trois balles dans la tête de son frère qui n’avait pas encore pris la peine d’ouvrir les yeux pour y voir son meurtrier.

Tout s’enchaine très vite.

Nejma rentre chez elle, sa visite chez sa cousine aura été de très courte durée; elle n’était pas là.
Le voyage en bus à Constantine l’a toute défraichie, alors, Nejma s’engouffre dans la salle de bain, et là…

…Madame l’Horreur lui tend les bras.

Son fils aîné truffé de balles gît dans une baignoire de sang. Tandis que le cadet regarde son arme tout en murmurant « il le fallait, il le fallait, il le fallait… »
Pâle comme un linge, Nejma lui tends les mains en hurlant « Donne, donne-moi cette arme, tu es trop jeune, je dirai à la police que c’est moi qui l’ai tué »

Fébrile, Mehdi lui tend maladroitement l’arme. Nejma s’en empare et vise son cadet…
Lentement, Nejma se sent envahir par des souvenirs qui affluent dans sa mémoire.

Avec la participation de :
Nejma, qui Signifie: « étoile, astre »

Mehdi, un dérivé du prénom arabe Mahdi tiré du verbe hada signifiant « Le bien guidé ». Pour les musulmans, il se traduit par « Celui qui est éclairé par Dieu » et désigne le sauveur qui viendra sur terre à la fin des temps.

Yamine, qui signifie « heureux, fortuné, prospère »

The Flash

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Cette série doit être l’une des meilleurs séries que j’ai pu voir (et j’en vois beaucoup:)) et continue de l’être encore. Pour tous les fans de DC Comics (dont je fais parti :)), c’est très agréable de découvrir les origines de Flash, l’homme le plus rapide du monde. Surtout pour ceux qui comme moi on grandit avec les images du dessin animé de la Ligue des Justiciers qui certes datent un petit peu mais reste une très bonne adaptation. Dans cette adaptation, on ne trouve malheureusement pas beaucoup de détails sur Flash qui était pourtant l’un des principaux personnages faisant parti des fondateurs de la Ligue.

Mais aujourd’hui (enfin ça fait un an quand même :/) DC revient pour nous proposer le retour de ce héro méconnu Barry Allen alias The Flash. Le personnage de Barry joué par Grant Gustin fait aussi une apparition dans la saison 2 épisode 8 de Arrow qui nous permet d’avoir un premier aperçu de la personnalité du futur héro.

Comme vous l’aurez compris la série met en scène Barry et son équipe (qui deviendra sa famille) et les embarquent dans leurs aventures impliquant des méta-humains (vous vous demandez ce que signifie ce terme allez regarder la série :)). La série contrairement a celle de Arrow avec laquelle elle est liée apporte une sorte de lumière contrairement a Arrow qui agit plutôt dans l’ombre et reste un personnage entouré d’obscurité. Alors que Flash est plus lumineux, plus insouciant, plus enjoué ce qui fait un beau contraste entre les deux séries et renvoi a différentes thématiques.

le scénario est bien écrit et les acteurs bien choisit. Tous lutte contre les méta-humains et essaye de découvrir la vérité sur le meurtre de la mère de Barry et sur l’identité du Reverse Flash. La série s’épanouit à son rythme entre les buts finaux et les enquêtes sur les méta-humains. Et j’aime assez ce petit clin d’œil fait à la série des années 80 car l’acteur qui y jouait le Barry Allen, joue ici le père du nouveaux Flash et c’est un peu comme la relève et je trouve cela plutôt sympathique.

C’est une série que je pense ne pas oublier et continuer à regarder car elle nous apporte tous les bons ingrédients: amour, tragédie, vérité, humour, amitié, tristesse et douleur parfois.

Voila c’est fini, mais juste une dernière chose: faite attention car vous risquez de devenir accro!

 

Les Ombres de Canyon Arms de Megan Abbott

On découvre Betty au moment où débute pour elle la fin du rêve et le début de la glissade vers l’anonymat et l’échec si cuisant, le moment où elle comprend que ces amants qui pouvaient aider sa carrière, dont elle pensait bien abuser pour grimper, ont gagné contre elle comme avec tant d’autres, qu’elle n’est une oie blanche de plus. megan abbott

Et pour son plus grand malheur, elle occupe un logement où s’est déroulée une tragédie du monde faux et puant de l’industrie hollywoodienne, la mort tragique d’un libraire épris des stars qui s’est brûlé les ailes à trop s’approcher de ce miroir aux alouettes. Petit à petit, elle cogite, découvre des indices, s’imagine, voit, soupçonne…

 

Touchant et désabusé.

L’eau chaude et l’eau froide de Jules Ogier en direct du Japon

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Si t’es venu ici c’est que t’as pas peur de la neige ou du froid !
Tu devrais.

Changement de tempo

Quand les insectes sont de sortie, c’est que l’hiver approche. C’est en tout cas ce que déclare Ichikawa-sensei, qui enseigne le japonais le mardi matin. « Vous n’avez pas vu les yuki mushi ? Non ? Moi je les ai vu ! Eh bien, ça veut dire qu’il va bientôt neiger ! » En effet, depuis quelques jours, on ne peut plus sortir sous les arbres du campus sans rentrer par mégarde dans un nuage de mouches microscopiques au vol silencieux qui se collent dans vos vêtements et s’engouffrent dans vos narines.

Au rayon des signes précurseurs de l’hiver, les masques chirurgicaux se multiplient sur les visages enrhumés. Bien calé derrière les oreilles, le rectangle de papier ne laisse souvent apercevoir d’un visage qu’une paire d’yeux châtaigne, un bandeau de peau coincé entre les tignasses emmêlées et les écharpes de laine. Ainsi mis en valeur, le regard s’ouvre grand, remplace un sourire ou une moue et exprime avec mystère les émotions frigorifiées. C’est un langage tacite qui réduit la communication à une pupille qui roule et quelques onomatopées.

Le thermomètre lumineux géant de la place Akarenga descend de deux degrés par semaine avec la régularité d’un coucou suisse. Un photographe chevronné passe ses journées sous les arbres roux de l’université. Les imprimés ‘écureuils et noisettes’ font fureur dans les boutiques de vêtements. L’automne s’installe dans la durée, c’est une rythmique différente, un tempo qui s’accélère. Le pas de la foule se fait plus vif. Il faut se réchauffer et remplir sa journée avant que le soleil ne se couche prématurément au milieu de l’après-midi. Échapper aux averses, aussi, la pluie frappant toujours quand on s’y attend le moins.

La saison des typhons s’achève, mais la traversée d’un parc en soirée ressemble encore souvent à une expédition à travers les paquets de feuilles mortes, les rafales de pluie et le vent qui s’engouffre dans la vallée. La forêt de l’université se tord ainsi dans tous les sens, transpire, frissonne et ondule avant de retrouver son calme, jonchée d’humus retourné. Ce n’est qu’une phase de transition, une préparation pour le grand final dont on me parle depuis le premier jour : l’arrivée de la neige. Elle attire comme elle repousse. Nombre d’étudiants en échange sont venus pour elle – depuis la Scandinavie ou le Canada – craignant la chaleur insupportable du Sud.

On dit qu’il existe, en langue inuite, plus d’une dizaine de termes pour désigner la neige. Chacun ses obsessions : au Japon, il y a trois mots pour parler d’eau. D’abord « o-mizu » (お水), le plus commun, le liquide général, celle qui sert à arroser les plantes, à se laver. C’est l’eau toute simple, toute bête. Ensuite, il y a « o-hiya » (お冷), l’eau fraîche, qui désaltère, celle que l’on vous sert un verre à la fois dans les restaurants. Et puis il y a « o-yu » (お湯), l’eau chaude, la plus importante. C’est l’eau de la civilisation, celle qui sert à faire le thé – et donc à recevoir – et celle dans laquelle on se baigne.

Le changement de statut de l’eau n’est donc pas physique mais culturel. L’eau froide peut devenir chaude, mais son usage change alors. Puisqu’on ne fait pas la même chose avec, pourquoi leur donner le même nom ? La fonction précède la nature. Mais l’eau peut être chaude sans passer par une bouilloire. L’eau thermale, qui s’échappe de la montagne, c’est aussi de l’ « o-yu ». À Hokkaido encore plus qu’ailleurs, le bain est un créateur de lien social, un moment à part, une institution.

Sortir de la ville

Bon, on a fait le plein, le GPS fonctionne, tout le monde a pris sa serviette et son shampoing, le temps est magnifique : c’est parti. Tada dé-serre le frein à main et engage la voiture sur le boulevard. En ce samedi matin, le soleil est déjà haut dans le ciel. Les salarymen ont déserté les immeubles du centre-ville, la foule des badauds se répand le long du Odori Park. Il est temps de partir.

On avance patiemment dans le réseau urbain, l’agglomération de Sapporo s’étendant sur des kilomètres de banlieues bétonnées, parsemées de stations-service désertes et d’entrepôts alimentaires. C’est le véritable cœur économique de l’île, une zone industrielle démesurée qui fait la jonction entre les porte-conteneurs accostés au port moderne d’Ishikari et les grands magasins verticaux du centre. Une route construite plus qu’une vraie agglomération, le chaînon manquant entre la ville et les champs.

Au volant, Tadasuke – dit Tada, étudiant en biologie, cheveux en pétard et lunettes fumées – jette un œil expert à la carte animée. Le reste de la voiture somnole, le paysage défile. Le voyage dans le Sud commence. Mélange subtil de forêts clairsemées, de vallées encaissées et de lacs gigantesques bordés de montagnes encore vertes, Hokkaido prend parfois, en automne, des airs de Terre du Milieu miniature. Aucune trace d’activité humaine si ce n’est la route large qui serpente entre les collines rocailleuses. De l’herbe jaune pâle noyée par la pluie, une série de poteaux électriques qui descend vers une ferme isolée. Quelque chose à mi-chemin entre la Comté des hobbits, un paysage breton et une forêt russe. Le résultat n’est pas exotique mais surprenant, inattendu.

On aperçoit la mer à l’horizon. Sur la plage de rochers une fine bruine commence à tomber. Difficile d’accepter qu’il s’agit là de l’océan Pacifique. Le regard se perd dans le lointain. En ligne droite, la prochaine terre est sans doute Hawaï ou la Californie – où il fait probablement plus beau. Les mouettes ont remplacé les corbeaux, les seules boutiques qui bordent la route sont maintenant des grossistes en poisson et des garages automobiles.

Dans le bain électrique

Depuis la plage, prenez la troisième sortie à droite, rentrez dans le tunnel qui passe sous la montagne, ressortez dans la vallée. Vous voilà à Noboribetsu. Un paysage de fin du monde : des volcans endormis délimitent une cuvette de roche pourpre d’où jaillissent des geysers d’eau brûlante. Depuis les pierres pelées de hautes fumerolles s’élèvent vers le ciel. Un ruisseau chargé de sulfure s’écoule depuis les collines en répandant une odeur d’œuf pourri. Sur le bas-côté une pancarte anglophone annonce la couleur : « Welcome to the valley of Hell ». Enfer tout relatif puisque la chaleur du sous-sol a fait de Noboribetsu l’une des destinations thermales les plus prisées de l’archipel.

Alors on achète son ticket, on se déshabille et on rentre dans l’onsen. Face aux montagnes, l’établissement des bains décline une palette de piscines impeccables et fumantes. Plongé dans cette casserole, le corps se relâche, le cerveau commence à lentement bouillir dans un crâne sous pression. Le regard hagard se perd alors dans la contemplation des neuf cercles de l’enfer, baignés d’une douce lumière et traversés par une cohorte de touristes chinois.

Bain froid, sauna, hammam, bain à bulles… les suppliciés venus des environs déambulent d’un pas mou d’une attraction à l’autre. Dans un coin de la pièce, il est même proposé un « bain électrique » : un bassin aux bords métallisés dont l’eau est parcouru par un courant continu qui stimule vos muscles comme ceux d’une grenouille de laboratoire. À l’intérieur, un vieil homme chauve semble dormir, bercé par les décharges. Les monstres en peignoir du « Voyage de Chihiro » ne sont pas très loin. À travers la fenêtre, le jour se couche sur le pays du feu et ses volcans tranquilles.

Recréer le Mouton de Jules Ogier en direct du Japon

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Ça va vous surprendre, mais, au Japon, Murakami n’a pas toujours été reconnu en tant qu’écrivain. Ici, c’est aussi un traducteur. De littérature américaine, surtout. Il s’est attaqué à tout Carter, Raymond Carver ou Fitzgerald. Vous voulez connaître les influences de Murakami ? Lisez ceux qu’il a traduits. Travailler avec lui, c’est donc traduire un traducteur.

Un jour, j’étais dans ma maison – dans la forêt, au Nord de Toronto – et voilà qu’il m’appelle. Il était de passage à New York et souhaitait venir me voir. Le lendemain soir, arrive une grande voiture noire, conduite par un chauffeur. Il est resté une nuit pendant laquelle nous avons parlé musique et littérature. Le chauffeur nous a préparé un repas délicieux et le lendemain matin ils avaient disparu. Quelques années plus tard, en lisant « Kafka sur le Rivage », j’ai reconnu ma maison dans les bois. Elle était entrée dans le roman. Voila comment j’ai rencontré Haruki.

Il s’arrête et se saisit d’une édition neuve d’une de ses traductions, une vieille nouvelle des débuts de l’écrivain. Il en lit un passage à voix haute. Deux mystérieuses jumelles anonymes, un électricien un peu trop curieux, un protagoniste paumé aux questions absurdes. L’audience écoute, le jour se couche, les néons ronronnent.

Quand « La Course au Mouton Sauvage » a été publié, un grand colloque de tous ses traducteurs a été organisé. L’action du livre se déroulant à Hokkaido, tout le monde a été réuni ici, à Sapporo, pendant quelques jours. On devait être une quarantaine, venus des quatre coins du globe. C’est là que je me suis rendu compte de l’ampleur de son succès. Qu’est-ce qu’un auteur populaire ? C’est un écrivain qui expérimente. Évidemment, Haruki a des obsessions, on peut retrouver des éléments récurrents – mais chacun de ses livres est une réinvention complète. C’est particulièrement vrai pour ses nouvelles. Voila sa contribution à la littérature mondiale : quand nous seront tous morts, on parlera encore de ses histoires courtes et ses romans passeront au second plan.

Il compose une rythmique, une logique musicale qu’on pourrait comparer à du jam. Imaginez-vous un jazzman qui se lance dans de longues improvisations, lance une question, se répond à lui-même… Cette forme libre rentre dans un thème défini, un refrain stable, mais elle permet une grande liberté dans l’écriture. C’est un parcours spontané conçu pour surprendre le lecteur mais aussi pour s’étonner soi-même.

Traduire « La Course au Mouton Sauvage » ne revient donc pas à retrouver la même partition mais à recréer les mêmes sentiments d’écoute avec un orchestre différent. La traduction mot à mot est une littérature morte. Le défi est de parvenir à un rythme qui transmette au lecteur l’émotion de l’écrivain à sa table de travail. Par exemple, les dialogues chez Murakami ont quelque chose du sketch de clowns, ça fuse avec une grande économie de moyens. On sent qu’il s’amuse à les écrire – comme on doit s’amuser à les lire.

L’âme, le cœur et l’esprit

Restent les mots intraduisibles. Dans un de ses romans, le protagoniste perd progressivement son « kokoro » (心), une idée très japonaise qui désigne le siège des émotions, l’origine des passions. Comment traduire cela ? L’âme ? L’esprit ? Le cœur ? L’un est trop chrétien, l’autre trop mental, le troisième trop biologique. En Japonais, ce n’est pas le mot qui définit la situation mais la situation qui définit le mot. Ma proposition serait de laisser « kokoro » mais les éditeurs n’aiment pas beaucoup ce genre de choix ! Murakami, lui, a eu plus de marge dans sa traduction de « Gatsby le Magnifique » : il a gardé quelques mots en anglais mais personne n’a osé le contredire.

Vous savez pourquoi ses livres de débutant sont à la première personne et ses derniers à la troisième personne ? Quand il a commencé à écrire, il utilisait le pronom « boku » (僕) pour signifier « je » mais c’est un mot qui ne peut être employé que par de jeunes hommes… En vieillissant, et puisqu’il continuait à choisir des personnages jeunes, il a délaissé la première personne dans laquelle il ne se reconnaissait plus.

Pour finir, voilà une histoire que Haruki raconte régulièrement. Pour son premier roman, il se retrouve bloqué par la langue japonaise, il n’arrive pas à trouver les mots. Alors il ressort sa vieille machine à écrire et rédige en dizaine de pages dans un anglais basique. Puis, il se traduit en japonais et retrouve les mots simples et le style limpide qu’il avait oublié. Simplement le récit, l’émotion.

La nuit est maintenant complètement tombée. Il repose le livre avec lequel il occupait ses mains. Je l’ouvre et aperçois, à l’intérieur, une dédicace de l’auteur : « A mon ami, avec qui je partage deux mondes ».

Merci à Ted Goossens d’avoir donné son accord à la publication de ce chapitre.
Ce texte est librement inspiré de sa conférence à Hokkaido University le 13

Le faux rond blanc cassé de Jules Ogier en direct du Japon

zazen

Début du zazen.
Être concentré. Vers quoi ? Ne pas réfléchir, garder la bonne position des mains, des doigts, du dos. Ne pas penser, ne pas s’agiter. Regarder devant soi. Ne pas dormir. Ne pas fermer les yeux. Mais les fermer quand même. Sinon, les yeux se dessèchent. Probablement. Est-ce qu’on peut perdre la vue si on oublie de fermer les yeux ? Ne pas réfléchir, maintenir la position. Fixer le mur. Devant moi, il y a un tableau. Un grand tableau. Je ne peux pas le voir complètement. Il est là, à quelques centimètres de mon crâne. Je ne sais pas ce qu’il représente. Je ne vois que des strates de peintures, vertes et noires. Assis en position du lotus, les pieds derrière les genoux, les muscles sont détendus. Il faut simplement attendre. Ou ne pas attendre ?

À hauteur de mon regard, un rectangle. Ou plutôt un carré, une sorte de faux rond aux angles durs. Il est blanc cassé, pas réellement solide. Ne penser à rien, regarder au-delà du tableau. Mhm. Ma jambe droite me lance, je ne sais pas ce qu’il se passe dedans. En extérieur, tout va bien, elle ne gonfle pas, mais elle me fait mal. Tout cela est très étrange. Se concentrer. Une odeur d’encens, un battement dans un coin de la pièce. Comme un tambour ou une cymbale. « Un son dans une nuit sans air ». C’est quoi ce poème déjà ? Pas vraiment régulier, un battement toutes les minutes, peut-être. Ne pas compter les secondes. 1, 2… Ne pas compter les secondes. Se concentrer. Concentré de tomates. Chut. Je fixe le mur.

Ça pourrait être quoi ce faux rond blanc cassé ? Un arbre, un visage ? Une pierre dentelée. Dentelée ? Comme une mâchoire ? Comme un couteau ? On devrait fabriquer un couteau avec des dents. Ça couperait bien ? Peut-être. Focus. Stay focus. Pourquoi je me parle en anglais ? Se recentrer sur sa propre respiration. Inspirer, expirer, inspirer… Mhfff… Pfff… Mhfff… Tout va bien. Un son de cloche, c’est fini, on desserre les jambes – je ne sens plus celle de droite – on redescend les escaliers.

Fin du zazen.