L’intérêt de cet album instructif tient à ses personnages. L’histoire se déroule à Mayotte.. , l’ile accueillante…. Revenons donc à nos personnages :
Il y a Serge le frustré adipeux, Pierre le toubib, parti plus pour prendre quelque distance avec son épouse que pour soigner une humanité dans le besoin, ou encore Jacques l’héroïnomane en mal de sevrage. Tous s’éprennent qui de Lucie, qui d’Anissa ou de Marie, belles beautés des îles et clandestines en quête de mariage… ou pas.
Charles Masson dresse le portrait de ces Français exilés et de ces clandestins ayant survécus à la périlleuse traversée. Au fil de l’histoire, les personnages évoluent, tout en levant le voile sur les aspects peu reluisants de l’île (prostitution, arnaques en tout genre,…). Il souligne l’évolution du regard des mahorais et des métropolitains au fur et à mesure des changements politiques. L’arrivée de Sarkozy à la tête de l’État va par exemple précipiter la « chasse » aux clandestins qui avaient jusque là plus ou moins leur place dans la société mahoraise. Il pose aussi un regard critique sur le système de santé à travers les personnages de médecin et de Danièle la sage femme. A son arrivée, Danièle est là pour accoucher les femmes toutes nationalités confondues. Tous les soins sont gratuits. Mais voilà il faut rentabiliser les soins. Les femmes n’auront plus droit à l’Entonox (gaz qui sert à endormir les patientes puisqu’il n’y a pas de péridurales) pour apaiser les douleurs lors de l’accouchement… Comme le dit le chef de service « les femmes accouchant naturellement et sans douleur sur cette île, il ne sera plus nécessaire de les endormir au gaz dans les salles d’accouchement… » (p.251)
C’est dans ce coin de l’océan Indien que Danielle, la sage-femme idéaliste, débarque. Ce spectacle, mis en scène par quelques-uns de nos concitoyens, elle le résume d’une formule : “Je suis venu pour donner, pas pour prendre ni me terrer.”
« Droit du sol » raconte aussi le destin des clandestins comoriens venus chercher sur l’île de Mayotte, 101ème département français depuis avril 2013, une nouvelle vie plus heureuse, moins pauvre. Laissés pour compte de la République, ils sont d’abord exploités par les passeurs et leurs bateaux Kwassa-Kwassa, quand ils ne sont pas violés ou jetés à l’eau, puis refoulés dans les hôpitaux pour que les femmes n’accouchent pas de leurs enfants sur le sol français de manière officielle, exploités encore par les habitants des lieux qui s’en servent comme d’une main d’œuvre à bon marché. Droit du sol croise le récit de plusieurs personnages, l’idéaliste venue à Mayotte oublier le gris de Paris, celui qui veut donner un sens à sa vie, celui qui ne pensait plus trouver l’amour, celui qui en profite depuis que les putes malgaches ont augmenté leur tarif, celui qui se bat pour le respect de la dignité.
Qu’on se le dise, la bande-dessinée appartient à la famille littérature et bonne lecture !